mardi 15 mars 2016

De la Saint-Louis à la saint-glinglin : saint ou Saint ?

Voici un petit casse-tête : quand saint doit-il s’écrire avec un s minuscule ou un S majuscule ? Quatre points pour tout comprendre !
Place Saint-Marc, Venise. Saint, majuscule ou minuscule
Ah ! Venise. Placée sous le haut patronage de l’évangéliste saint  Marc (avec un petit s) et connue, entre autres, pour sa place Saint-Marc (avec un grand S).


Allez savoir pourquoi, lorsque j’écris Saint Louis, cela me fait toujours penser à cette phrase qu’André Santini (député et ancien ministre) prononça en 1989 à propos du garde des Sceaux d’alors : « Saint Louis rendait la justice sous un chêne, Pierre Arpaillange la rend comme un gland. » Santini reçut pour cela le prix de l’humour politique.

Un an plus tard, ce fut d’ailleurs au tour d’Arpaillange d’obtenir ce prix (3e ex aequo), mais pour une autre perle, cette fois involontaire : « En 1989, sur cinquante-deux évadés, on en a repris cinquante-trois. »

Ça y est ! Je m’éloigne déjà du sujet. Alors, Saint ou saint ? Vous allez voir, ce n’est pas très compliqué.

1. Le bon saint Éloi lui dit (saint, et tout le monde est d’accord)

Un s minuscule est de rigueur lorsque le mot saint se place devant le nom du personnage qu’il qualifie, que ce dernier ait été dûment canonisé (reconnu saint par l’Église) ou non. On parlera d’un saint homme, de saint François d’Assise, de sainte Pétronille ou de saint Joseph.

Une sainte nitouche (un ou une hypocrite), nom commun, s’accordera au pluriel (des saintes nitouches) et prendra bien entendu deux minuscules.

Attention ! Ne me faites tout de même pas dire ce que je n’ai pas dit ! Bien évidemment, si l’adjectif saint est placé en début de phrase, il s’écrira avec une capitale : « Saint Vincent de Paul, apôtre de la charité, naquit en 1581. » (Une phrase commence par une majuscule et se termine par un point… On commence à connaître la chanson.)

Et Saint Louis, alors ?

Saint Louis, petit s ou grand s
Parmi les saints, il fait figure d’exception,
puisque l'on écrit généralement Saint Louis.
Nombre de spécialistes, notamment Thomas et mes vénérés maîtres du CEC de Paris (Jean-Pierre Colignon et Jacques Décourt), font cependant une exception à cette règle : Saint Louis. Dans ce cas très précis, saint est quasiment assimilé à la dénomination de ce roi de France, comme l’adjectif chauve est lié à Charles II (Charles le Chauve), ou bel à Philippe IV (Philippe le Bel).

On retiendra donc qu’à l’exception de Saint Louis (mais ce n’est pas non plus une faute que d’écrire saint Louis), on écrira saint Antoine, saint Hervé, sainte Thérèse, etc. Cela nous permettra, simplement par la manière d’écrire cet adjectif, de bien distinguer ces personnages des noms de lieux portant leur nom, ce qui est précisément l’objet de notre deuxième point.

2. Puisque la baronne vous le dit ! (Saint, et tout le monde est toujours d’accord)

Eh oui, nous retrouvons là une petite règle de typographie que nous avions déjà étudiée ensemble (Le trait d’union dans les noms de rue).
La chapelle Sainte-Pétronille, la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, le boulevard Saint-Michel… Lorsque l’on parle d’un édifice, d’un établissement, d’une rue portant le nom de l’une de ces belles âmes, le S majuscule devient de rigueur. L’évangéliste saint Marc est mort à Alexandrie ; Saint-Marc (la place) est à Venise.

Et pour être sûr que notre œil pourra tout de suite savoir s’il lit le nom d’une personne ou celui d’un lieu (notamment lorsque saint est en début de phrase et qu’il prend de toute manière une majuscule), on a ajouté un trait d’union.

Petit exemple parlant. Madame la baronne de Grosballons écrit à son amie la comtesse de Perçoreilles : « Sainte-Radegonde est merveilleuse. C’est un amour de basilique ! » [On parle d’un lieu, donc trait d’union.]
Très différent de : « Sainte Radegonde est merveilleuse. Je l’invoque tous les jours. »

Saint-Pétersbourg, Saint-Denis… et retour à la saint-glinglin

Gargouille de Notre-Dame de Paris tirant la langue.
« Saint par-ci, saint par-là… Vous n’auriez pas un sujet
plus drôle ? »
Continuons en ajoutant que les noms de ville composés avec le mot saint prendront également
majuscules et traits d’union (trait d’union à partir du moment où ils sont en France ou qu’ils ont été francisés) : Saint-Nicolas-du-Pélem (Côtes-d’Armor), Saint-Étienne, Saint-Denis, Saint-Pétersbourg (bonjour à mes amis russes !)…

Le nom des villes corses n’échappe pas à cette règle (comme Santa-Maria-Siché), contrairement aux noms (non francisés) des villes de pays étrangers (San Francisco, Santa Monica, São Paulo… sans trait d’union) et aux noms de villes anglo-saxonnes telles que Saint Paul en Angleterre ou Saint Louis dans le Missouri !

Majuscules et traits d’union, encore, pour les noms d’association (société Saint-Vincent-de-Paul), d’ordre de chevalerie (ordre de Saint-Michel) et les noms de fête : « Ils se sont rencontrés le jour de la Saint-Valentin. » Mais : « Ils se marieront à la saint-glinglin. » [Nom commun, puisque aucun saint, pas plus que de fête, ne porte réellement ce nom.]

Toujours là ? Alors continuons avec quelques autres certitudes.

3. Tous les Saint-Cyriens et toutes les saint-cyriennes (quelle belle unanimité !) 

Est-il vraiment besoin de préciser que les patronymes comprenant le mot saint s’écrivent aussi avec des majuscules ? Antoine de Saint-Exupéry, le duc de Saint-Simon, Saint-John Perse… ?

Voici quelques années, j’avais un collègue journaliste qui écrivit un jour « saint Pol-Roux » au lieu de Saint-Pol Roux (1861-1940), le nom du poète symboliste disciple de Mallarmé. Venant d’arriver en Finistère, et marqué par la présence historique en ces lieux du fameux saint Pol (évêque du VIe siècle qui a donné son nom à la ville de Saint-Pol-de-Léon), il s’était persuadé (tout seul comme un grand) qu’il existait un Pol-Roux canonisé par l’Église !

Et le nom des habitants des villes commençant par Saint ? Une majuscule, bien entendu, comme tous les gentilés : les Saint-Gaudinois de Saint-Gaudens, les Saint-Lois de Saint-Lô, etc. On remarquera simplement que Saint ne prend pas ici de s au pluriel et que le gentilé perd sa capitale lorsqu’il est employé comme adjectif : un Saint-Lois, les quartiers saint-lois.

Les Saint-Cyriens sont les habitants de Saint-Cyr-l’École ; les saint-cyriens (ici nom commun et sans capitales) les élèves de l’école militaire située non loin de la forêt de Brocéliande (Bretagne).

Quelques noms propres, liés à l’histoire en même temps qu’à la géographie, prendront également une majuscule : la Sainte-Alliance, le Saint-Empire germanique…

Et pour terminer ce troisième point, je vous propose un retour aux minuscules avec… cela :

Mon saint-bernard aime le saint-nectaire

saint bernard s'écrit avec deux minuscules
« Le saint-nectaire ?
Et puis quoi encore !
Le saint-émilion, j’dis pas. »
Rien que du bon sens dans ce qui va suivre ! Ces noms d’animaux, de vins, de fromages, de gâteaux, composés avec le mot saint, sont des noms communs et fonctionnent comme tels, sans majuscules : un saint-bernard, un saint-pierre (poisson), un saint-honoré (hummm, un saint-honoré !), un saint-nectaire, un saint-émilion…

Enfin ! Si le nom du produit est précédé de son générique (vin de, fromage de…), saint retrouve alors sa capitale : un vin de Saint-Émilion (de la région de Saint-Émilion, nom propre). On dira de même : un chien du mont Saint-Bernard, et on écrira toujours une coquille Saint-Jacques (personne ne s’aventurera d’ailleurs à parler d’une saint-jacques tout court).

Les experts sont en revanche un peu divisés quant au pluriel de ces noms. Une nette tendance se dégage tout de même pour l’invariabilité : un saint-bernard, des saint-bernard.
Allez ! Dernière ligne droite !

4. Saint ou saint ? Et là, je tire ma révérence (quelques points de discordance)

S majuscule ou minuscule ! L’orthographe se mêle parfois aux convictions religieuses et aux traditions.

Dans la logique de notre langue, il est tout à fait normal qu’un adjectif accompagnant un nom commun ou un nom propre s’écrive sans majuscule (bien qu’il existe quelques règles spécifiques liées aux noms de lieux et aux titres d’œuvres). Nul ne pourra donc taxer de mécréante l’Académie française lorsqu’elle mentionne dans son dictionnaire : la sainte messe, la sainte ampoule, le saint ciboire, la sainte table, le saint chrême, la sainte Bible, la sainte eucharistie, les saintes espèces, la Terre sainte, le Vendredi saint, la Semaine sainte ou encore l’Écriture sainte.

Le Larousse et le Robert, l’Imprimerie nationale aussi, la suivent totalement sur ce terrain. Comme ils la suivent pour écrire Sainte Vierge (avec un S ; par révérence ou tradition, ou parce qu’assimilé à un « surnom » (sic) pour l’Imprimerie nationale). Littré, lui, écrit sainte Vierge. Mais il est pratiquement le seul.

Un « Esprit Saint » qui fâche !

Angelot endormi... Saint ou saint
« Que c’est beau les histoires de saints ! »
Quasi unanimité encore pour la Sainte-Trinité, le Saint-Esprit et le Saint-Père (mais : notre saint-père le pape).

En revanche, l’Académie écrit la sainte Famille ; le Robert, la Sainte Famille. Et là où les divergences sont les plus nombreuses, c’est à propos de l’Esprit Saint.

Pour Saint-Esprit, tout le monde est d’accord, mais lorsqu’il s’agit d’inverser les deux termes, l’Académie propose Esprit-Saint ; le Robert, Esprit saint ; le Larousse du XXe siècle, Esprit Saint.

Ceci étant, il convient de noter que des auteurs catholiques comme Claudel ou Mauriac n’hésitaient pas à enfreindre toutes ces conventions pour écrire le Saint Sacrifice, la Sainte Table… par révérence. Et s’il convient de ne pas jamais trop abuser des majuscules, nul ne pensera sérieusement à le leur reprocher.

Vous me faites un petit résumé pour la semaine prochaine ?


Vous avez un CV et une lettre de motivation à envoyer ? Je vous conseillerais volontiers de lire ceci : Ci-joint ou ci-joints.

Rennes, formation, orthographe... Trois noms qui vont si bien ensemble !

3 commentaires:

  1. Très bien et très clair!

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  2. Très détaillé, merci beaucoup ! Qu'en est-il de Mardi gras ? On trouve régulièrement Mardi-Gras dans les calendriers... Je désapprouve la majuscule à Gras, mais le tiret n'est-il pas légitime pour une fête, tout comme Sainte-Famille, par exemple ?

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