jeudi 19 novembre 2015

Tous les bleus des cieux (le pluriel des mots se terminant par « eu »)

Aaah ! cela faisait longtemps que nous n’avions pas parlé de constantes orthographiques ! Voici tout ce que vous vouliez savoir sur le pluriel des mots finissant par eu.


Un espace dans les nuages forme un cœur ; sont écrits sur cette photo de ciel : "Bleus" ; "Des lieux" ; "des lieus ?" ; "Tiens ! un émeu !".
Eh oui ! « les lieus », cela existe
aussi !
Euh ! Avant de commencer, je ne résiste pas à l’envie de vous parler de la ville d’Eu, en Normandie. Un peu d’humour pour soigner un peu nos bleus, pour quitter un instant l’ambiance morose de ces tristes jours.

La commune d’Eu a eu longtemps cette particularité d’être un lieu de villégiature pour la famille d’Orléans. Le roi Louis-Philippe et ses descendants y possédèrent un château jusqu’à la fin du XIXe siècle.

C’est pourquoi leurs opposants eurent tôt fait de les nommer, faisant allusion à la royale couleur dont ils prétendaient se revêtir… les blancs d’Eu. De mauvais goût ? Peut-être. Moins cependant que cette chanson (très célèbre à Eu) commandée par le roi Louis-Philippe lui-même afin de se moquer du maire de cette commune. Ladite chanson prêtait ces mots au premier magistrat de la ville : « J’ai brigué l’honneur d’être maire et le roi m’a nommé maire d’Eu. »

Soit dit en passant, vous remarquerez que tous les adjectifs se terminant par le son eu, y compris celui que votre esprit malintentionné a cru reconnaître dans les paroles de la chanson précitée, prennent un x au masculin singulier comme au masculin pluriel : un homme peureux, chanceux, malheureux, fabuleux, etc.).

Trois cas particuliers : l’adjectif de couleur bleu (eu au singulier, eus au pluriel ; un ciel bleu, des ciels bleus) et feu, dans le sens de décédé depuis peu (feu mes grands-parents, invariable en début de phrase ; mes feus grands-parents, ma feue grand-mère, variable et prenant un s au pluriel lorsque précédé d’un déterminant).
Et comme il me l’a été aimablement signalé dans un commentaire de cet article, l’adjectif familier neuneu (pas très futé) est également une exception : il est un peu neuneu, ils sont un peu neuneus.

Du rapport entre les colins (poissons) et les pneus

Les noms communs se terminant par eu, quant à eux, prennent tous un x au pluriel (un pieu, des pieux ; un cheveu, des cheveux…). Tous ? Nooon, ce serait trop beau !

Tête et cou d’un émeu (des émeus)
Un émeu, des émeus.
Cinq exceptions. Le mot bleu, que l’on parle de la couleur, de la jeune recrue, de l’ecchymose, de la combinaison de travail… se termine par un s au pluriel. Et il en sera de même pour le pneu (des pneus), l’émeu (des émeus, oiseaux d’Australie) et le lieu (uniquement lorsque l’on parle du poisson ; les lieus noirs, quels que soient les lieux où vous les pêchez, sont aussi appelés colins).

Bravo ! Vous savez compter ! Il en manque un (mot). La dernière exception est enfeu (caveau funéraire, niche pratiquée dans une chapelle pour recevoir des tombes), qui vient du verbe enfouir et prend donc un s au pluriel.

Vous saviez tout cela ?


Mots terminés par eu… Par ici l’astuce !

Afin de mieux retenir une liste d’exceptions, rien de tel que d’inventer une petite histoire où toutes ces exceptions figurent. Un court récit vous permet en effet de créer un lien entre elles, de les visualiser.

Concernant les sept noms et adjectifs se terminant par eu et prenant un s au pluriel, imaginons : « Six ancêtres du baron Michelin de Pneu, y compris ses feus parents, reposaient dans les enfeus de la cathédrale. Sur leur blason bleu figuraient des animaux bien étranges, trois poissons et trois oiseaux : trois lieus et trois émeus. Bon, d’accord : tout cela est un peu neuneu. »

Bien entendu, sauf géniale exception, les histoires que vous retiendrez le mieux seront celles que vous aurez vous-même composées. Alors faites preuve d’imagination !


Sur les constantes orthographiques, lire également : Le pluriel des mots en au (« Tous les bateaux qui vont sur l’eau sauf les senaus »).


vendredi 13 novembre 2015

Rue du Trait-d’Union-qui-Rit (le trait d’union dans les noms de rue)

Une petite règle de typographie pour comprendre toute la différence entre Charles de Gaulle et Charles-de-Gaulle.
Ours (informations sur le journal) du quotidien Le Monde. Dans l’adresse du journal, « rue Auguste-Blanqui », il y a bien un trait d’union entre « Auguste » et « Blanqui ».
Un « Auguste » révolutionnaire a donné son nom à un boulevard parisien. C’est là que siège la rédaction du journal Le Monde. L’ours dudit journal le rappelle tous les jours : « 80, boulevard Auguste-Blanqui... » Avec un trait d'union !

Écoutez cette petite histoire qui illustre parfaitement l’importance du sujet du jour (l’usage des traits d’union dans les dénominations composées, notamment les noms de rue).

On raconte que le recteur d’une modeste paroisse du diocèse de Quimper et de Léon fut un jour invité à prêcher lors d’une grand-messe en l’église Saint-Louis de Brest.

Le vieil abbé, humble et pieux, savait que son éloquence n’était pas la cause première de cette invitation : une épidémie de grippe, particulièrement sévère, frappait alors un grand nombre de ses confrères.

Un peu chamboulé, l’abbé écrivit deux lignes à son évêque aussitôt après son intervention. « Monseigneur, moi, indigne serviteur du Christ, j’ai eu la grande joie de parler ce matin à Saint Louis. » Le prélat lui répondit dans la foulée : « Cher Recteur, je connais votre humilité, et même, disons-le, votre sainteté, mais dois-je comprendre que vous êtes intervenu dimanche dernier en l’église Saint-Louis de Brest, ce dont je me réjouirais déjà pleinement avec vous, ou dois-je rendre grâce au Seigneur d’avoir dans mon diocèse un prêtre ayant eu l'insigne honneur de converser avec notre défunt roi de France ? »

Eh oui ! Un simple trait d’union peut changer bien des choses.

Traits d’union dans les noms de rue : ce que vous savez sans le savoir

Adresse des éditions du Rocher : 28, rue Comte-Félix-Gastaldi, avec des traits d’union entre "Comte" et "Félix", entre "Félix" et "Gastaldi".
Les maisons d’édition sérieuses respectent
scrupuleusement ces règles.
Avenue du Maréchal-Foch, place du 11-Novembre, boulevard Henri-IV, rue Jean-Bodin, impasse du Pré-aux-Clercs… Les divers éléments composant un nom de rue sont liés par des traits d’union.
Et il en est de même ‒ ce que notre recteur a oublié sous le coup de l’émotion ‒ des noms d’édifices (église Saint-Louis), de villes (Saint-Nicolas-du-Pélem), de complexes culturels ou sportifs (centre Georges-Pompidou, Roland-Garros), d’associations (société Saint-Vincent-de-Paul)… (Lire également notre article sur le mot saint : Saint, petit s ou grand S.)

Le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale énonce cette règle de la manière suivante : « Dans une dénomination composée, tous les noms, à l’exception de l’article initial, sont liés par des traits d’union. »

Les adresses que vous écrivez sur vos enveloppes, quant à elles, n’en comportent pas, mais elles sont bien les seules, car elles sont soumises aux règles particulières du Code postal. Il est également à noter que tous les mots composant ces dénominations, excepté les articles et les pronoms, prennent une majuscule : rue du Chat-qui-Pêche, place des Cinq-Martyrs-du-Lycée-Buffon.

Il vous semble découvrir cette convention typographique ! Elle vous étonne. Pourtant vous la connaissez, c’est certain : depuis votre petite enfance, dans tous les journaux, dans tous les livres, vous l’avez constamment vue utilisée.

Il nous faut encore préciser que cette règle ne relève pas de l’arbitraire (la petite histoire introduisant cet article nous le démontre amplement). Elle facilite notre lecture, nous permet d’identifier d’emblée des lieux, de les différencier (surtout lorsque leur appellation est abrégée) des personnages dont ils portent les noms.

« Je n’aime que toi »

Vous voulez d’autres exemples ! « En 1969, j’ai vu Charles-de-Gaulle. [Les traits d’union, même inconsciemment, vous font tout de suite penser à un lieu.] À cette époque, l’aéroport ne s’appelait pas encore ainsi et était en pleine construction. »

En revanche, s’il est écrit : « En 1969, j’ai vu Charles de Gaulle », c’est bien du général lui-même qu’il est question.

Et que penser de ce jeune homme qui écrirait à sa petite amie (à propos de l’un de ses anciens lycées) : « Je dois te faire une confidence : de toute ma vie, je n’ai jamais aimé que Marie Curie. »

Pour peu que la jeune fille ne connaisse ni Marie Curie, ni de lycée Marie-Curie…


Ah, au fait… Vous avez peut-être oublié cette règle très particulière : quand faut-il accorder ci-joint ?  C’est ici : ci-joints ou ci-joint ?